Hurd Hatfield dans le rôle de Dorian Gray dans le film Le Portrait de Dorian Gray, d'Albert Lewin
Texte
"Il regarda autour de lui, et aperçut le poignard avec lequel il avait frappé Basil Hallward. Il l’avait nettoyé bien des fois, jusqu’à ce qu’il ne fût plus taché. Il brillait… Comme il avait tué le peintre, il tuerait l’œuvre du peintre, et tout ce qu’elle signifiait… Il tuerait le passé, et quand ce passé serait mort, il serait libre !… Il tuerait le monstrueux portrait de son âme, et privé de ses hideux avertissements, il recouvrerait la paix. Il saisit le couteau, et en frappa le tableau !…
Il y eut un grand cri, et une chute…
Ce cri d’agonie fut si horrible, que les domestiques effarés s’éveillèrent en sursaut et sortirent de leurs chambres !… Deux gentlemen, qui passaient au dessous, dans le square, s’arrêtèrent et regardèrent la grande maison. Ils marchèrent jusqu’à ce qu’ils eussent rencontré un policeman, et le ramenèrent avec eux. L’homme sonna plusieurs fois, mais on ne répondit pas. Excepté une lumière à une fenêtre des étages supérieurs, la maison était sombre… Au bout d’un instant, il s’en alla, se posta à côté sous une porte cochère, et attendit.
— À qui est cette maison, constable ? demanda le plus âgé des deux gentlemen.
— À M. Dorian Gray, Monsieur, répondit le policeman.
En s’en allant, ils se regardèrent l’un l’autre et ricanèrent : l’un d’eux était l’oncle de sir Henry Ashton…
Dans les communs de la maison, les domestiques à moitié habillés, se parlaient à voix basse ; la vieille Mistress Leaf sanglotait en se tordant les mains ; Francis était pâle comme un mort.
Au bout d’un quart d’heure, il monta dans la chambre, avec le cocher et un des laquais. Ils frappèrent sans qu’on leur répondit. Ils appelèrent ; tout était silencieux. Enfin, après avoir essayé vainement de forcer la porte, ils grimpèrent sur le toit et descendirent par le balcon. Les fenêtres cédèrent aisément ; leurs ferrures étaient vieilles…
Quand ils entrèrent, ils trouvèrent, pendu au mur, un splendide portrait de leur maître tel qu’ils l’avaient toujours connu, dans toute la splendeur de son exquise jeunesse et de sa beauté.
Gisant sur le plancher, était un homme mort, en habit de soirée, un poignard au cœur !… Son visage était flétri, ridé, repoussant !… Ce ne fut qu’à ses bagues qu’ils purent reconnaître qui il était…"
Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray
Questions
1. Que se passe-t-il lorsque le modèle et le tableau fusionnent ?
2. Devant l'œuvre, que comprend Dorian Gray ?
3. Peut-on dire que l'art imite/copie la nature ?
4. Quelle vision donne à voir le tableau ?
5. L'artiste Paul Klee dit que l'art donne à voir l'invisible. Explique ce paradoxe à partir de cet extrait du texte d'Oscar Wilde.